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Echos de Saint Jean de la Ruelle
28 mars 2012

Civilisations

Toutes les civilisations se valent-elles?  

Voici ce que dit Luc Ferry

Est-il scandaleux de le dire ? Pas davantage, mais en campagne électorale, le scénario est réglé comme une partition classique : une petite phrase est tweetée sur le Net, la Toile s'enflamme et une certaine presse se met en branle, tendant des micros complaisants aux adversaires les plus déclarés du fauteur de trouble : « Êtes-vous vraiment d'accord avec les propos terribles de Claude Guéant selon lesquels les civilisations ne se valent pas ?»

Nul ne doute de la réponse, surtout pas celui quila pose. Onattend seulement que l'interviewé se lâche à son tour, qu'il monte aux extrêmes de l'indignation, ce combustible inépuisable des médias démocratiques. Alors le tourbillon se déchaîne.

Violent, il ne passera pourtant pas la semaine, car l'indignation qui le booste est de toute évidence aussi fictive que feinte. Les cris d'orfraie poussés par les bien-pensants touchant les propos de Guéant sont d'autant plus ridicules que ces derniers relèvent plus de l'évidence que de la provocation.

Je suis prêt à parier qu'en leur for intérieur, nos éléphants du PS pensent exactement la même chose que lui et ce pour une raison simple: il n'y a en réalité, si du moins l'on accepte de considérer une seconde le fond des choses, aucun motif, je dis bien aucun, de tenir a priori les civilisations pour équivalentes.

Au nom de quoi pourrait-on refuser à quiconque le droit de préférer les traditions qui ont engendré une grande littérature à celles qui dominent les sociétés sans écriture ?

Comment lutter avec ardeur contre l'illettrisme, s'engager de toute son âme pour que nos enfants découvrent les grands auteurs et tenir pour équivalentes les cultures où elles se sont épanouies et celles qui ignorent jusqu'à leur existence ? Au nom de quoi devrais-je m'abstenir de penser que les œuvres de Bach ou de Mozart sont infiniment plus profondes, plus riches et plus précieuses à tous égards que le tambourin ou le flûtiau de ce que Lévi-Strauss appelle les «sociétés sauvages» ?

Un tel jugement de valeur n'implique nulle xénophobie, pas davantage la moindre volonté colonisatrice ou impérialiste, simplement l'expression d'un choix dont on voit mal au nom de quelle morale débile il devrait être interdit.

Il en va évidemment de même sur le plan politique: oui, là encore et sans la moindre hésitation, je préfère mille fois une civilisation qui a engendré la démocratie, l'égalité entre hommes et femmes, les Lumières, le rationalisme scientifique, la peinture hollandaise et les droits de l'homme à une civilisation qui les ignore ou les nie.

On objecte que c'est là confondre civilisation et régime politique, mais l'argument est spécieux: de toute évidence, les deux sont inséparables.

Du reste, il n'est pas même nécessaire, pour poser de telles affirmations, de s'opposer au relativisme. Il suffit d'expliciter le point de vue d'où l'on parle, en l'occurrence, celui des républiques démocratiques.

Comme l'écrit André Comte-Sponville, qu'on ne soupçonnera pas de rouler pour le Front national, dans ce passage d'un article dont je fais cadeau à Claude Guéant pour sa défense :

«Toutes les civilisations ne se valent pas, ni tout dans chacune d'elles… Disons le donc tranquillement: de notre point de vue, non d'Européens mais de démocrates,

- une civilisation qui respecte les droits de l'homme est supérieure à une civilisation qui ne les respecte pas.

- une civilisation qui prône l'égalité des sexes est supérieure à une civilisation qui veut maintenir les femmes en situation d'infériorité et d'oppression.

- une civilisation laïque qui protège la liberté de croyance et d'incroyance est supérieure à une civilisation intégriste…» (Le Goût de vivre, Albin Michel, p. 292).

Voilà, c'est dit, et par un des plus éminents penseurs se réclamant aujourd'hui dela gauche. Alorsqu'y a-t-il en réalité derrière toute cette effervescence proprement stupide ?

La volonté, chez notre ministre de l'Intérieur, de draguer le FN ? Si c'est le cas, c'est une erreur, car l'original sera toujours supérieur àla copie. Lavérité, c'est qu'à l'ombre des cris d'orfraie, c'est une vieille haine de soi qui prospère, le «sanglot» de cet «homme blanc» dont parlait Pascal Bruckner, qui ne parvient toujours pas à éprouver la moindre fierté à l'idée d'appartenir à une Europe qui, pourtant, eut le génie de développer une civilisation laïque de liberté et de bien-être à nulle autre pareille.

Pour combien de temps encore si nous n'y croyons plus nous-mêmes ?

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